C'était un après-midi de fin d'été. Instants paisibles où l'on traîne un fauteuil sur la pelouse à nouveau verte après les dernières pluies d'août, où l'on étire ses jambes, les pieds déchaussés au contact de l'herbe drue. La tête renversée, les yeux fermés, on tend son visage au soleil qui descend derrière le mur du voisin. Il fait doux et c'est cette douceur qui dessine sur les lèvres un sourire juste avant qu'on saisisse avec nonchalance le livre qu'on avait pris soin d'emporter avec soi.
Frédéric est en retard. C'était à déjeuner qu'il était attendu. S'il se demandait pourquoi il n'a pas réussi à quitter son lit à l'heure programmée, à prendre un café sans tartines, à se doucher rapidement, et même à s'habiller comme d'habitude, sans réfléchir à ce qu'il va porter, il s'emporterait sûrement "Ben, j'en sais rien, pas envie, pas envie, voilà!" Et si c'était Lola qu'on interrogeait à ce sujet, elle dirait "Il a eu peur de me revoir, je le sais bien" avec cette grâce naturelle qui tient au timbre de sa voix et peut-être à une certaine façon de ployer le cou quand elle parle en posant son regard sur ceux qui l'entourent et qu'elle semble découvrir comme des cailloux blancs sur un chemin bitumé.
Et le voilà planté devant cette liane rousse, comme Adam le premier jour du monde.
Fenêtres ouvertes
lundi 8 décembre 2014
vendredi 5 décembre 2014
Chapitre 3
Lola sort de chez la gynécologue en se tenant le ventre. C'est qu'il est précieux
ce petit être en forme de haricot qui nage là-dedans.
« Moins de douze semaines, une intervention est encore possible » a
prévenu la spécialiste « Mais ne tardez pas, après je ne pourrai plus rien
pour vous. »
Lola s’est tournée vers Nic. Il lui a saisi la main et a répondu « Il n’en est pas
question ... » avec une douceur qu'elle n'attendait pas.
Il la soutient fermement par le bras tandis qu’elle descend l’escalier.
Il lui dit avec beaucoup de
sérieux dans la voix « Il
ne faudrait pas que tu glisses ! »
L’air frais cueille Lola sur le trottoir et une bourrasque la pousse en avant.
L’air frais cueille Lola sur le trottoir et une bourrasque la pousse en avant.
« Oh ! Oh ! Maintenant je vais te protéger de
tout ! » s'exclame Nic en se précipitant pour la ramener contre lui.
Ils longent les quais d'une Seine gris anthracite. Il ouvre son manteau pour lui proposer une petite place bien chaude. Et c'est d'un même pas qu'ils avancent, têtes baissées, tandis que la pluie
commence à tomber.
« Une grossesse, c’est un temps de recueillement » lui annonce Lola. « Je me verrais bien à la montagne. Un bon fauteuil, un plaid et des heures à écouter bébé grandir dans mon ventre, devant une flambée. Qu’en penses-tu ? »
« Une grossesse, c’est un temps de recueillement » lui annonce Lola. « Je me verrais bien à la montagne. Un bon fauteuil, un plaid et des heures à écouter bébé grandir dans mon ventre, devant une flambée. Qu’en penses-tu ? »
Il tarde à lui répondre. Et comme elle insiste,
il l’enlace très fort, et pour se faire entendre malgré les bruyants coups du
vent, il lui crie à l’oreille « Finies pour toi les boîtes de nuit,
et les journées de ski. Tu l'as dit...un temps de recueillement ! » Un léger rire
le secoue. Bien vite, il rajoute « Ce n'est pas une bonne idée. La plage conviendrait
mieux, il me semble, pour de longues balades, avec quelques amis que l’on retrouverait. »
« La mer ! Hou, c'est bien aussi !» a répondu vivement Lola en souriant
tendrement à la petite fille qu’elle entend déjà babiller. Malgré la pluie
qui crachote, elle a relevé haut la tête.
Comme
le vent encourageait la pluie à cingler les rares passants, ils
se sont réfugiés dans une brasserie.
Lola commande un panaché « Bien
blanc !» qu'elle n'arrive pas à boire. « Quelle
gourde je suis ! C’est évident, mon bébé ne tolère pas l’alcool ! »
Nic
a hoché la tête en fronçant les sourcils. Il a lancé, en se tournant volontairement pour ne pas lui faire face « La montagne ou la mer, ce sont de
longs voyages avant un accouchement…Réfléchissons…»
L’averse
cogne aux baies vitrées et chaque fois qu’un client entre, le vent
s’engouffre en rafales avec lui. Nic a jeté la monnaie sur la table et ils ont rejoint le trottoir que des trombes d’eau ont piqueté violemment. Lola,
nerveuse, s'est écartée. Il l'attire de nouveau vers lui et l'entraîne sous un porche. "Attendons un peu, tu veux bien ?" Il la serre dans ses bras et tandis qu'elle cède à son étreinte, il lui explique, en cherchant soigneusement ses mots, qu'elle va sacrifier la vie qu'elle mène et qu'elle aime, à ce bébé. « Plus
de fêtes… Pas de voyage… Peut-être que ce n'est pas raisonnable... A ton âge... » Il se surprend à la bercer tendrement. « Ce n'est pas un
bébé. Seulement quelques
cellules qui grenouillent dans ton ventre…»
La
pluie a cessé et un maigre soleil d’avant Noël perce les nuages qui
s’effilochent. « Et puis, ce ne sera qu'une petite
intervention…Presque rien du tout… » Nic a secoué vivement
la tête avec plaisir, il a levé le nez au ciel. La fin
d’après-midi s’annonçait belle.
mercredi 3 décembre 2014
Chapitre 2
Nic Nugren marchait en comptant ses pas. C’était une manie qu’il tenait de l’enfance et dont il n’avait pas su se débarrasser en grandissant. A quarante ans, il comptait encore. Du coin de la rue à l'entrée de l'immeuble, trente pas, de la boîte aux lettres à la porte de l’appartement, au quatrième étage, en prenant l’escalier plutôt que l’ascenseur, quarante huit pas, à condition de franchir deux marches à la fois. Personne ne partageait avec lui ce calcul qu’il vérifiait chaque jour. Et s’il était en compagnie, il s'arrangeait pour filer devant. Lorsque Lola le freinait en lui saisissant le bras, il entrait immédiatement dans une colère qu'elle ne s'expliquait pas. «Jamais une minute de tranquillité! Qu'est-ce que tu me veux?»
Et comme Lola, indignée, refusait de lui répondre, la colère s'amplifiait. « Et voilà! Plus rien à dire! Des exigences ! Des caprices! Tu me fatigues! Une vraie gosse! »
Elle finissait par lui lancer, des larmes plein les yeux « Tu n’es vraiment pas gentil. Laisse-moi!»
Nic marmonnait alors entre ses dents, suffisamment fort toutefois pour qu'elle l'entende «Quel gâchis! Je commence bien ma journée! »
Et il se précipitait vers sa voiture, garée dans la pénombre du parking sous l’immeuble.
Comme Lola restait loin derrière, il s'arrêtait à sa hauteur, lui ouvrait la portière et se penchait vers elle en lui disant « Allez, c’est bon. Pardonne-moi, je t’aime. C’était bien cette nuit, c’est toujours bien avec toi. »
Lola souriait et il démarrait rapidement en mâchonnant son premier chewing gum de la matinée.
Elle devait lui indiquer bien longtemps à l'avance à quel endroit sur le trajet il s'arrêterait pour qu'elle descende. Invariablement, il lui demandait « Tu vas où maintenant ? »
Lola répondait d’un « Oh » évasif à ce type de question.
« Précise davantage, tu veux ? »
Elle agitait la main, allongeait le pas, tandis que Nic, moteur coupé, regardait la fine silhouette s'éloigner, et en hochant la tête, sourire aux lèvres, se disait combien lui plaisait ce jeune visage tâché de rousseur.
Ses bureaux donnaient sur le boulevard Saint Germain. Assis à une table du Flore, à huit heures et demie, il prenait un café en surveillant, sans être vu, ses salariés démarrer leur travail derrière les baies vitrées éclairées de l‘intérieur.
« Sale temps! » lançait Georges en se jetant sur la banquette, en face de lui. « Lola, ça va ? »
« Plus tard, tu veux. Le boulot, c’est plus important que la famille, non? »
« Comme tu le sens! Moi, de la famille, j’en ai pas. »
« L’associé parfait! »
« Ouais, tu peux le dire! Pendant que tu te paies une gamine de quinze ans plus jeune que toi, moi je fais tourner les machines, et plutôt bien! »
Ils se souriaient, chacun content de l’autre.
Ils fumaient la cigarette du matin en jurant qu’ils arrêtaient dès le lendemain et que c’était le dernier paquet. Ils traversaient ensemble le boulevard, et Nic laissait Georges devant l’ascenseur.
« Je monte à pied. »
« A ta guise! »
Et il entamait son décompte, certain enfin d’être tranquille.
lundi 1 décembre 2014
Chapitre 1
Deux jours passés au lit, fiévreuse. Deux journées à dormir, la veille de mon anniversaire. L’âge qui vient provoque la fuite dans le sommeil. L’envie de vivre rapetisse. Le temps grignote son gâteau et au bout de chaque année, à l’heure de l’anniversaire, la peur de se tourner vers le passé, de contempler ce qu’il en reste, devient plus grande.
Mireille m’a rendu visite. Elle m’a apporté des chocolats. Elle a affirmé « Tu es pleine de ressources ». Je n’ai pas aimé cette expression même si ce sont ses mots à elle, et ils sont respectables, pour me ramener à la vie.
Elle s’est installée sur le fauteuil, face au lit, et a lancé « Tu te souviens de Nic qui comptait ses pas ? Et de Lola qui le trompait avec cet ami d’enfance… Comment s’appelait-il ? Toi, tu vas me le dire ! »
Et voilà comment elle avait remonté l’horloge ! Nic, et Lola, et Frédéric, et les autres, ceux qui peuplaient ma mémoire, que j’avais plaisir à retrouver, rien qu’en fermant les yeux, la main sur le drap, Mireille les avait appelés à la rescousse, et fidèles, familiers, ils accouraient, tels qu’ils étaient autrefois, ou plutôt tel que leur souvenir me les avait conservés.
« Frédéric ! »
« C’est ça !» s’est exclamée Mireille. « Il avait connu Lola toute petite… »
« C’est la fille d’un cousin de ton père. Je crois qu’elle a fait quelques photos et un peu de théâtre. Elle est très jolie. Elle s’installe à la maison le temps de se trouver un logement. Elle a été reçue dans une école d’art. »
Frédéric avait demandé si elle voulait être photographe et sa mère avait répondu « Tu n’écoutes pas quand je te parle, c’est navrant. C’est elle qui a été photographiée. Elle va tenter sa chance comme mannequin. Ta chambre est la plus belle de la maison et tu n‘y dors plus jamais. J‘ai pensé la lui donner, tu es d‘accord j‘espère ? Elle arrive dimanche, si tu veux venir déjeuner… » Et elle avait rajouté « Tu la connais. Tu l’avais sauvée de la noyade dans la piscine, chez ta grand-mère, il y a bien dix ans de ça, non ? »
Il l’avait attrapée par les cheveux et l’avait hissée sur le bord, crachotante, suffocante. Elle s’était blottie dans ses bras et avait murmuré « Je l’ai fait exprès, c’est un pari » avant de simuler l'évanouissement en entendant les cris affolés de sa mère, laquelle avait offert à Frédéric la petite chaîne d’or qu'elle portait au cou, pour le remercier. C'était en fermant l'attache du bijou sur sa nuque que Lola lui avait soufflé « J'ai gagné mon pari! »
Le soir venu, il avait déposé le minuscule tas d'or sur sa table de chevet. Et l’avait cherché en vain, quand il avait revu Lola, bien des années plus tard. Le jour où il lui avait avoué son amour, elle avait ouvert son sac et en avait sorti délicatement la chaîne.
« Tiens, je crois que c’est à toi. Je l’ai retrouvée dans une boîte à chaussures remplie de crayons, de bouts de craie et de colles. Sur une étagère de ta chambre ! »
Elle l’avait posée dans sa paume et il avait fermé le poing.
« Elle ne me quittera plus! »
« Trop tard. J’ai fait d’autres paris depuis. Celui-là, je l’ai perdu. »
« Pourquoi ? »
« Tu avais accepté la chaîne… j’imaginais que je te plaisais ! »
« Tu avais huit ans! Et moi, j‘en avais vingt !»
« Impossible amour ? »
« Une bêtise! »
« Eh bien tant pis! »
« Mais aujourd’hui, Lola ? »
« J’aime bien que tu m’aimes. Continue! »
Il l’avait attirée contre lui mais elle avait ri quand il avait tenté de l’embrasser.
Le téléphone avait sonné. Elle avait ignoré l'appel.
« Tu te fiches de celui-là aussi ? » avait demandé Frédéric.
« Peut-être... »
« Viens vivre avec moi. Oublie tous ces types! »
Le téléphone avait sonné à nouveau. Elle avait lancé un clin d’œil à Frédéric et cette fois-ci, avant de répondre en lui tournant le dos, elle lui avait dit « Je crois quand même que tu es mon préféré, mais je veux m’amuser! »
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