lundi 1 décembre 2014

Chapitre 1



Deux jours passés au lit, fiévreuse. Deux journées à dormir, la veille de mon anniversaire. L’âge qui vient provoque la fuite dans le sommeil. L’envie de vivre rapetisse. Le temps grignote son gâteau et au bout de chaque année, à l’heure de l’anniversaire, la peur de se tourner vers le passé, de contempler ce qu’il en reste, devient plus grande.

Mireille m’a rendu visite. Elle m’a apporté des chocolats. Elle a affirmé « Tu es pleine de ressources ». Je n’ai pas aimé cette expression même si ce sont ses mots à elle, et ils sont respectables, pour me ramener à la vie.

Elle s’est installée sur le fauteuil, face au lit, et a lancé « Tu te souviens de Nic qui comptait ses pas ? Et de Lola qui le trompait avec cet ami d’enfance… Comment s’appelait-il ? Toi, tu vas me le dire ! »

Et voilà comment elle avait remonté l’horloge ! Nic, et Lola, et Frédéric, et les autres, ceux qui peuplaient ma mémoire, que j’avais plaisir à retrouver, rien qu’en fermant les yeux, la main sur le drap, Mireille les avait appelés à la rescousse, et fidèles, familiers, ils accouraient, tels qu’ils étaient autrefois, ou plutôt tel que leur souvenir me les avait conservés.

« Frédéric ! »

« C’est ça !» s’est exclamée Mireille. « Il avait connu Lola toute petite… »


« C’est la fille d’un cousin de ton père. Je crois qu’elle a fait quelques photos et un peu de théâtre. Elle est très jolie. Elle s’installe à la maison le temps de se trouver un logement. Elle a été reçue dans une école d’art. »

Frédéric avait demandé si elle voulait être photographe et sa mère avait répondu « Tu n’écoutes pas quand je te parle, c’est navrant. C’est elle qui a été photographiée. Elle va tenter sa chance comme mannequin. Ta chambre est la plus belle de la maison et tu n‘y dors plus jamais. J‘ai pensé la lui donner, tu es d‘accord j‘espère ? Elle arrive dimanche, si tu veux venir déjeuner… » Et elle avait rajouté « Tu la connais. Tu l’avais sauvée de la noyade dans la piscine, chez ta grand-mère, il y a bien dix ans de ça, non ? »


Il l’avait attrapée par les cheveux et l’avait hissée sur le bord, crachotante, suffocante. Elle s’était blottie dans ses bras et avait murmuré « Je l’ai fait exprès, c’est un pari » avant de simuler l'évanouissement en entendant les cris affolés de sa mère, laquelle avait offert à Frédéric la petite chaîne d’or qu'elle portait au cou, pour le remercier. C'était en fermant l'attache du bijou sur sa nuque que Lola lui avait soufflé « J'ai gagné mon pari! »

Le soir venu, il avait déposé le minuscule tas d'or sur sa table de chevet. Et l’avait cherché en vain, quand il avait revu Lola, bien des années plus tard. Le jour où il lui avait avoué son amour, elle avait ouvert son sac et en avait sorti délicatement la chaîne.

« Tiens, je crois que c’est à toi. Je l’ai retrouvée dans une boîte à chaussures remplie de crayons, de bouts de craie et de colles. Sur une étagère de ta chambre ! »

Elle l’avait posée dans sa paume et il avait fermé le poing.

« Elle ne me quittera plus! »

« Trop tard. J’ai fait d’autres paris depuis. Celui-là, je l’ai perdu. »

« Pourquoi ? »

« Tu avais accepté la chaîne… j’imaginais que je te plaisais ! »

« Tu avais huit ans! Et moi, j‘en avais vingt !»

« Impossible amour ? »

« Une bêtise! »

« Eh bien tant pis! »

« Mais aujourd’hui, Lola ? »

« J’aime bien que tu m’aimes. Continue! »

Il l’avait attirée contre lui mais elle avait ri quand il avait tenté de l’embrasser.

Le téléphone avait sonné. Elle avait ignoré l'appel.

« Tu te fiches de celui-là aussi ? » avait demandé Frédéric.

« Peut-être... »

« Viens vivre avec moi. Oublie tous ces types! »

Le téléphone avait sonné à nouveau. Elle avait lancé un clin d’œil à Frédéric et cette fois-ci, avant de répondre en lui tournant le dos, elle lui avait dit « Je crois quand même que tu es mon préféré, mais je veux m’amuser! »

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